Le poivre, épice universelle, « or noir » (pour certains ; pas nécessairement les planteurs), « perle noire » de la cuisine… mais, victime de son succès, sa qualité ou son emploi laissant souvent à désirer. Devenu un produit banal, le « roi des épices » n'a souvent pour lui que son piquant, alors qu’il peut donner tellement plus. Le Petit traité du poivre (14x22, 160 p., 14,90 €, illustrations évocatrices d’Agnès Doney) dresse les points de repère pour savoir reconnaître un bon poivre et savoir l’utiliser. Qu'il soit blanc, vert, rouge ou noir, grand « cru » ou non, cultivé ou sauvage, variété locale ou pas, Piper nigrum, le fruit d'une liane grimpante vertigineuse de la famille des pipéracées, donne des baies (grains regroupés formant une grappe) dont le degré de maturité, le terroir, le traitement… concourent à faire la différence. Mais attention prévient Sylvie Jobbin-Le Moal : bien qu'elles n'appartiennent pas à la famille des pipéracées, certaines épices sont communément appelées « poivre », en raison d'un goût ou d'une forme assez comparable. C'est le cas du poivre rose, du poivre de Cayenne, de Sichuan, de la Jamaïque, de Selim, de Tasmanie…
Poivrer c’est voyager ! Au chapitre des voyages, le Petit traité du poivre offre des excursions passionnantes, dans le temps et l’espace. On traverse les océans et les déserts pour vendre ou acheter le poivre, on revisite les cités qui se sont faites la guerre pour en posséder le contrôle... Le chemin est long, car depuis des milliers d’années le poivre accompagne l’humanité pour ses rites religieux, ses parfums, ses remèdes traditionnels et ses cuisines. La culture du poivrier, originaire de la côte Ouest de l’Inde (État du Kérala), s’est répandue dans une grande partie de l’Asie du Sud-Est, principalement au Vietnam, en Indonésie, Malaisie, au Sri Lanka, en Chine... mais aussi en Amérique du sud (Brésil…) et en Afrique,…). Comme le vin, le café ou le thé, le poivre a ses grands crus qui n’ont aucun secret pour Sylvie Jobbin-Le Moal : poivre blanc du Penja (Cameroun), à la fois puissant et suave, lampong d'Indonésie, associant des notes de bois, de cuir et de brioche à des saveurs acides rappelant le poivre vert, poivre sarawak de Malaisie aux notes réglissées et aux parfums de sous-bois, sans oublier le fameux MG1 de Malabar. C’est ainsi qu’un jour, sa rencontre avec Joseph, producteur de poivre en Inde (au Kérala), puis la découverte qu'il existe plus de 2 000 espèces de poivres au monde, ont ouvert à Sylvie Jobbin-Le Moal une porte vers d’autres pays, de nouvelles cultures et même l'Histoire et vers un univers infini d'anecdotes, d'expressions, de parfums, de goûts et de recettes pour s’éveiller à la voie de la gastronomie.
L’usage du poivre est en effet trop souvent confondu avec l’art militaire du camouflage. Or, comme toutes les épices, le poivre doit se faire sentir sans chercher à dominer. Sylvie Jobbin-Le Moal expérimente un poivre, tente un mariage, ose une cuisson. Et, l’alchimie tient ses promesses. Elle réussit une belle équation gourmande, nées par déduction ou par hasard, ou par transposition d’un autre plat. Cuisinière à part entière ou entièrement à part (?), l’auteur (l’autrice !) a le mérite de nous faire partager nombre de ses recettes (salées et sucrées) originales. Prouvant ainsi qu’elle n’était pas moins qualifiée que d’autres sous prétexte qu’elle a été nourrie de livres d’agronomie plutôt que de recueils de gastronomie. Ses emprunts aux sources historiques et sa géographie des recettes séduisent. Sa cuisine n'a pas peur des apports étrangers et lointains, au contraire, elle se construit en partie sur eux. Tentative après tentative, on sent que cette manipulatrice de saveurs a peaufiné telle ou telle recette jusqu’à en trouver la formule idéale. Mais un livre qui ne donnerait que des recettes serait perdu pour une consommation juste et éclairée. Aussi ajoute-t-elle tours-de-main, conseils et astuces, comme : grains de poivre entiers en début de cuisson, mais poivre moulu en fin de cuisson. « Poivrez en fin de cuisson, car seule la pipérine piquante résiste à la chaleur, tandis que tous les parfums présents dans les huiles essentielles s’envolent ; il est donc inutile, voire criminel de poivrer en début de cuisson ». Ainsi s’exprime cette pepper addict qui a fait du poivre et des épices son métier, en ouvrant il y a plus de dix ans un magasin Des épices à ma guise (44150 Ancenis), dans lequel « elle ne passe pas une seule journée sans avoir une nouvelle recette à tester ou sans avoir envie de découvrir un nouveau poivre ».
Epicez-vous la vie avec Le Petit traité du poivre de Sylvie Jobbin-Le Moal, exploratrice de saveurs. Elle en sera d'autant plus savoureuse ! Un livre intéressant, bien écrit, instructif et agréable à lire.