Interview d'Aliocha Wald Lasowski dans Actualité Juive à propos de son ouvrage Serial Virus :
Aliocha Wald Lasowski : « Le virus a aiguisé notre sentiment de finitude »
Le philosophe Aliocha Wald Lasowski signe un passionnant essai, Serial Virus, qui décrypte la longue crise pandémique traversée par l'humanité.
Actualité Juive - Votre essai est une réflexion de fond sur la crise épidémique liée au coronavirus. « Nous vivons à l'âge de la « pharmacodynamie industrielle » y écrivez-vous, en allusion aux vaccins contre le COVID-19. Qu'est-ce que cela signifie?
Aliocha Wald Lasowski : Face au Covid-19, l'impatience de guérison immédiate, légitime du point de vue humain, a relancé la frénésie pharmacologique, liée à l'angoisse psychique, dans un monde de l'hyper-industrialisation. La médecine agit autant sur le corps individuel que collectif. La santé est le projet d'une société : organe, organisme, organisation. Tout est lié. Dans le contexte actuel, où la fabrication industrielle des vaccins est un enjeu mondial, la santé concerne la "biosécurité" de la société et de la population. Plus que jamais, aujourd'hui, nous prenons conscience que la médecine est un espace de construction du social et du médical mêlés. D'où l'enjeu politique et culturel dans Serial Virus.
Pourquoi la crise pandémique que nous traversons depuis plus de deux ans doit-elle aboutir à réinventer ce que vous nommez « la Relation » ?
A.W.L. : La maladie n'est pas seulement un phénomène biologique ou une infection naturelle, mais avant tout un rapport au corps, au culturel et à l'éthique. La santé est sociale. Et le lien humain est aujourd'hui à réinventer. Le « Serial Virus » dont je parle impose son tempo aux échanges, réduits au contact contrarié à distance. Comment penser la politique des relations en temps de pandémie ? L'idée principale du livre est d'éclairer le sentiment de finitude ressenti par l'être humain, dont la vision du monde est affectée par la pandémie. Et le confinement, vécu par 4,6 milliards de personnes, fut l'expérience d'un huis clos existentiel, qui a bouleversé leur vie.
Allons-nous vers un ralentissement de la mondialisation ?
A.W.L. : Dans toutes les sphères de la vie, de l'intime au global, du privé au social, la propagation de l'épidémie a sidéré par l'intensité de sa vitesse. Le coronavirus oblige à penser les dimensions de vitesse et de lenteur, d'accélération et de ralentissement de nos comportements. Comme il arrive que la démocratie soit elle-même prise de vitesse par les populismes, la société a été surprise par la fulgurance de la pandémie. Face au virus ou, vous avez raison, face au phénomène de mondialisation, la politique doit trouver une autre cadence. ll s'agit d'inventer une allure nouvelle, pour ne pas sombrer dans l'illusion consommatrice et l'artifice sociétal. Gouverner, c'est un défi., celui de rythmiciser l'espace public de la cité.
Vous revisitez Freud. Pourquoi ses thèses retrouvent-elles selon vous une actualité ?
A.W.L.: En plein krach boursier, Sigmund Freud, le père de la psychanalyse, analyse la crise économique internationale de 1929 : L'Avenir d'une illusion tente de comprendre la société de son temps, et Malaise dans la civilisation. décrypte la névrose sociale et la pathologie collective du monde moderne. Le dilemme entre sécurité et liberté, au coeur du psychisme humain, est actuel. On le voit avec l'explosion de violence lors de la pandémie.
Combien d'agressions contre les services de médecine ? Masques volés, blouses arrachées, infirmières agressées... Face à la mort et à l'épidémie, la civilisation devient le lieu où se joue, dans une folle gigantomachie, la lutte entre Éros et Thanatos, entre pulsion de vitalité et pulsion de destruction. La civilisation a pour enjeu, la lutte vitale de l'espèce humaine, conclut Freud, plutôt pessimiste sur notre avenir !
Quid de l'émancipation dans ce contexte?
A.W.L. : Si Serial Virus partage le pessimisme freudien, Penser l'émancipation, un dialogue avec Jacques Rancière (éditions de L'Aube), esquisse des solutions d'espoir. D'autres possibilités de penser et de faire, de nouvelles manières d'être ensemble, sont envisageables. Rancière utilise l'expression« capacité de n'importe qui». Cette capacité, qui se prouve par l'exercice et le faire, permettrait d'améliorer la vie en démocratie. C'est une étape décisive pour imaginer le monde de demain.
■ Propos recueillis par Alexis Lacroix