Suzanne Cardinal
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Un excellent ouvrage propose de vous raconter le destin fascinant d’un créateur méconnu qui a pourtant su, parmi les premiers, allier la maîtrise de la calligraphie à l’aisance technologique dans la plus grande tradition de la lettre latine. François Boltana (1950-1999) aura vécu la typographie à son instant le plus décisif, au moment où les promesses multiséculaires qu’elle portait en elle purent vraiment se concrétiser.
La France des années 50 dans laquelle il naît connaît une période de renouveau typographique sous l’impulsion de personnalités comme Roger Excoffon ou Adrian Frutiger, sur fond de concurrence exacerbée entre les fonderies Olive et Deberny & Peignot. Boltana aura traversé comme un météore la galaxie typographique. Elève du Scriptorium de Toulouse à 18 ans, il publie ses premiers caractères chez Hollenstein dès l’âge de 22 ans et son premier caractère international à 23 ans chez Letraset, le Stilla, qui incarne le psychédélisme débridé des années 70, en plein âge d’or de la photocomposition.
Boltana a ouvert la voie de l’électro-typographie moderne, alliant l’élégance de la geste calligraphique à une virtuosité technique inédite jusqu’alors. Véritable «type geek» avant la lettre, il décode en 1989 la calligraphie prodige de l’Anglais Joseph Champion et en propose l’année suivante une version complète et informatisée – c’est l’OpenType avant la lettre. Il fut aussi parmi les premiers créateurs à vendre directement ses polices de caractères, ouvrant la voie à la typographie indépendante telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Ouvrage associé :
graphism.fr
Il y a quelques temps est sorti un très bel ouvrage intitulé : « François Boltana & la naissance de la typographie numérique ». Ses deux auteurs : Frank Adebiaye & Suzanne Cardinal ont ainsi réalisé un véritable travail d’enquête autour de ce passionnant acteur de la typographie. Publié à l’Atelier Perrousseaux (Adverbum, octobre 2011), l’ouvrage que j’ai pris soin de lire est divisé en plusieurs parties : introduction, calligraphie & les années de formation, le phototitrage, l’informatique, la synthèse humaniste, l’héritage de François Boltana, Verbatim (ligatures & calligraphie assistée par ordinateur) et aux couleurs de François Boltana (partie avec des photographies couleurs).
L’ouvrage très complet se veut simple, élégant et s’avère être très généreux en images, en textes en anecdotes aussi. Cela permet de connaître vraiment la vie, le travail le démarche et la réflexion de ce typographe hors du commun et qui mérite vraiment à être connu. D’ailleurs, si les petits noms de Geneviève, Lineameca, Gyrus, Capitole, Aurore ou encore Toulouse vous disent quelque chose… c’est que vous connaissez déjà le travail de Boltana
Présentation officielle :
« François Boltana (1950-1999) aura peut-être vécu la typographie à son instant le plus décisif, au moment où les promesses multiséculaires qu’elle portait en elle purent vraiment se concrétiser. La France des années 1950 dans laquelle il naît connaît une période de renouveau typographique sous l’impulsion de personnalités comme Roger Excoffon ou Adrian Frutiger, sur fond de concurrence exacerbée entre les fonderies Olive et Deberny & Peignot. François Boltana aura traversé comme un météore la galaxie typographique. Élève du Scriptorium de Toulouse à 18 ans, il publie ses premiers caractères dans la prestigieuse maison Hollenstein dès l’âge de 22 ans et son premier caractère international à 23 ans chez Letraset, le Stilla, qui incarne à lui tout seul le psychédélisme débridé des années 1970, en plein âge d’or de la photocomposition.
François Boltana a ouvert la voie de l’électro-typographie moderne, alliant l’élégance de la geste calligraphique à une virtuosité technique et technologique inédite jusqu’alors. Véritable « type geek » avant la lettre, il décode en 1989 la calligraphie prodige de l’Anglais Joseph Champion et en propose l’année suivante une version complète et informatisée – c’est l’OpenType avant la lettre. Il fut aussi parmi les tout premiers créateurs de caractères à vendre directement ses polices de caractères, ouvrant la voie à la typographie indépendante telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Cet ouvrage propose de vous raconter le destin fascinant de ce créateur méconnu qui a pourtant su, parmi les premiers, allier la maîtrise de la calligraphie à l’aisance technologique dans la plus grande tradition de la lettre latine. »
L’interview d’un des auteurs, Frank Adebiaye :
Bonjour Frank Adebiaye et merci de m’accorder ton temps pour cette petite entrevue Le sujet de cette interview va tourner autour de ton livre mais avant, j’aurais aimé que tu te présentes tout d’abord aux lectrices & lecteurs de Graphism.fr.
« Je suis comptable-typographe. Je me suis passionné pour la typographie dès 1999. J’ai organisé une conférence sur la typographie en 2003 avec Jean-François Porchez dans mon école (Reims Management School). Puis j’ai beaucoup lu et écrit sur la typographie (sur mon blog Velvetyne de 2006 à 2010, sur feu le typographe, dans la revue Graphê, dans mon fanzine le Rhino) avant de monter ma propre fonderie de caractères VTF en 2010 et de publier deux livres sur la typographie en 2011, l’un sur François Boltana qui fait l’objet de la présente interview et l’autre, écrit collectivement, sur les fontes libres pour le compte de l’Organisation Internationale de la Francophonie. Je suis également intervenu à deux reprises aux Rencontres Internationales de Lure en 2008 et 2011. »
Tu as écrit ce livre sur François Boltana avec Suzanne Cardinal, pourrais-tu la présenter également et me raconter l’histoire qui vous a réuni autour d’un tel projet ?
Suzanne Cardinal est étudiante en graphisme et en édition aux Arènes à Toulouse. Nous sommes rencontrés autour de ma fonderie et de la publicité que j’avais fait paraître en novembre 2010 dans Étapes. Elle m’a dit s’intéresser à mes caractères typographiques ; la sachant à Toulouse et la sentant dynamique et enthousiaste, je lui ai proposé de me rejoindre sur le projet, que je venais seulement d’entamer.
Votre choix s’est porté sur François Boltana. Pourquoi ce personnage et pourquoi en faire un livre ? Avez-vous hésité avec un autre typographe ?
« J’ai découvert le travail de François Boltana dans les Cahiers Gutenberg (une gazette publiée par l’association Gutenberg autour du logiciel LaTeX, logiciel de composition typographique et scientifique ; ) en 2004. J’ai été alors stupéfait par son travail incroyable sur les ligatures (cette fusion élégante entre plusieurs lettres pour des raisons esthétiques comme pour le « ? » ou linguistiques comme le « œ », sur les anglaises (aux formes très calligraphiques et très contrastées, dessinées à la plume Sergent Major) et j’ai été encore plus abasourdi en apprenant que François Boltana était complètement tombé dans l’oubli. Le dévolu que j’ai jeté sur François Boltana n’était pas fortuit, loin de là, car je sentais que c’était grâce à des visionnaires comme lui, que des gens comme moi (comprendre : des autodidactes, venant à la typographie par l’informatique) ont pu avoir accès à ce « vieil art » de la typographie. Ironie de l’histoire : François Boltana est mort en 1999, l’année même où je commençais à me plonger dans le monde de la typographie, en m’extasiant sur le moteur typographique « révolutionnaire » d’InDesign, dont la tout première version devait sortir la même année. Je dois avouer que mon intuition n’a pas été déçue, bien au contraire, car à la figure du visionnaire s’est ajouté la personnalité hors du commun d’un personnage attachant. »
Le livre retrace très bien la vie et les inspirations de Boltana. Est-ce pour toi un modèle de réussite ? De courage ? Boltana a-t-il connu des « ratés » dans son parcours ?
« Comme le suggère assez la citation d’Hippocrate placée en exergue à la conclusion de l’ouvrage, la vie de François Boltana, au-delà de son parcours typographique, est une véritable leçon de vie. Il y avait en lui un sentiment d’urgence de la création, cette volonté farouche de s’en sortir et un immense courage. De ce point de vue, François Boltana est un modèle de réussite, même si, comme le tout le monde, il avait sa part de doute. Plus que de « ratés », je parlerais davantage d’un gigantesque rendez-vous manqué avec l’histoire très récente de la typographie qui lui a largement donné raison : il a été un précurseur de l’OpenType, de la fonderie personnelle et indépendante, du souci de protéger son travail de créateur et d’auteur. Certaines de ses formes ressurgissent. Je pense au Lineameca (voir page 24) que l’on retrouve dans le Cholla Slab, de l’Oscar (voir page 57) que l’on retrouve dans le FF Ernestine, sans parler du Stilla (voir page 31), en pleine actualité quand on voit la résurgence des normandes, ces grasses et généreuses didones. »
Retrouver le travail de Boltana, le mettre en forme, prendre du recul par rapport à son oeuvre, marcher sur ses traces, quelles ont été les principales difficultés dans l’écriture de ce livre ? Quelle a été ta/votre plus grande victoire ?
« La tâche la plus ardue a été de retrouver le travail de François Boltana. Pour cela, il nous a fallu gagner la confiance de la famille Boltana (en particulier sa veuve Geneviève et sa fille Sabine). D’autres initiatives ou velléités éditoriales autour de François Boltana nous avaient précédées, nous avons donc redoublé de pédagogie et d’équité pour mener à bien le projet. En parallèle et par la suite, il y a eu un travail de recherche, d’écriture suivi de relectures attentives (celles de Jean-François Porchez et de Franck Jalleau ont été tout particulièrement précieuses). La plus grande victoire a donc été de mener ce projet à bien et surtout d’observer les réactions enthousiastes qu’il a suscitées, la fierté de la famille de revoir un peu revivre François Boltana au travers de cet ouvrage et le sentiment, confirmé maintes fois depuis, d’avoir fait œuvre utile, dans un style accessible. »
L’ouvrage est très complet et très beau, les éditions Atelier Perrousseaux vous ont laissé carte blanche ? Comment votre collaboration s’est-elle passée ?
« Rien n’aurait été possible sans notre directeur de collection, David Rault. Il y a bien sûr comme dans toute collection, une charte minimale à respecter. Il y a avait une contrainte en terme de pagination. Mais j’ai eu tout latitude dans l’écriture, et ce n’est pas là chose négligeable, car je considère aussi et peut-être surtout ce travail comme un travail littéraire. Suzanne a pu donner toute sa mesure dans les interviews avec la famille et dans les prises de vue, remarquables, du travail de François Boltana dans les archives familiales. Nous avons pu grandement peser sur le graphisme de la couverture, en particulier sur cette couleur violette si particulière, qui avait un sens profond car c’est la couleur de Toulouse. Pour des raisons inhérentes à l’organisation du projet, j’ai grandement participé à la mise en page du livre. Il est assez jouissif de mettre en forme, en page, en livre son propre texte. »
J’ai beau avoir un faible pour le Stilla, j’aurais été curieux de connaître ton caractère favoris chez Boltana ?
« Le Stilla est effectivement un caractère magnifique, une madeleine de Proust des années 70 insouciantes, généreuses et psychédéliques. Mais mon caractère préféré de François Boltana, c’est le Geneviève, en hommage à sa femme. La volupté des formes, les guillemets en forme de cils (voir pages 19 et 20) tout particulièrement, sont tout simplement confondants de grâce et de beauté. »
Pour finir, deux petites questions, la première porte sur d’éventuelles anecdotes que tu n’aurais pu mettre dans le livre mais que tu as plaisir à raconter.
« Notre interview va ressembler à une interview de Michel Drucker, mais je dois bien admettre, mon cher Geoffrey, que j’aime beaucoup les chiens ( sacré Frank !). Tout comme François Boltana qui avait un chien que l’on peut voir en page 56. Il y a deux anecdotes à propos de ce chien. La première c’est que Boltana, qui était un dessinateur hors pair (un artiste total, le rapprochant d’un Eric Gill) a exécuté une caricature de son chien. Nous n’avons pas pu la présenter dans la version finale du livre, mais elle était très réussie. Et la seconde anecdote tient au nom de ce chien, entré dans la famille Boltana au début des années 1980. En écho à l’actualité politique de l’époque, François Boltana avait appelé son chien Reagan ! »
Et la seconde et dernière question est de savoir si tu envisages (seul, avec Suzanne ou d’autres acolytes) d’écrire un prochain livre ?
« Oui, tout à fait, j’ai même fait plus que l’envisager, je l’ai fait, tout récemment : il s’agit de l’annuaire 1554 de la scène typographique française vivante. C’est un livre hautement pratique, avec, en sus, un article exposant, de mon point de vue, les enjeux actuels et à venir de la typographie en France ; les curieux y découvriront également l’origine du mot « typographe ». Ce livre est d’ores et déjà en vente sur Blurb et sera présenté aux Puces Typo le 5 mai prochain. »
Ouvrage associé :
Caractères janvier 2012
Le typographe François Boltana, à l'approche de la quarantaine, en 1989, découvre la création typographique numérique. Avec le nouveau système Ikarus, qui permet de transcrire à l'écran l'esprit calligraphique de la lettre, le mouvement du trait (le ductus), il entreprend la mise au point du caractère le Champion. Il dessine à la main chacune des lettres, réalise 1500 glyphes qui sont ensuite numérisés. Il devient, alors, le père de la "calligraphie informatique .. , reçoit les prix Morizawa et Linotype en 1990, et Paris-Cité en 1991. Il affine ses recherches, dessine le Messager (1992) à la plume Sergent-Major avant de le numériser; pour l'anglaise l'Aurore, il applique des changements de couleur. En 1997, il est nommé Meilleur ouvrier de France pour la création du Rabelais. François Boltana est décédé en 1999. Les auteurs Frank Adebiaye et Suzanne Cardinal nous brossent son portrait: l'apprentissage au Scriptorium de Toulouse, le premier poste chez Albert Hollenstein (Paris), spécialiste du phototitrage à l'heure où les alphabets se calligraphiaient encore à la main. François Boltana y crée son premier caractère, le Geneviève, en 1969, et obtient son premier prix Letraset, en 1972, pour le Stilla.