Pierre Abi Saad
Cybium (n°12)
Ce livre est une réédition revue et complétée d’un précédent ouvrage (Liban mémoire du temps. Les poissons fossiles) de 158 pages, paru en 2003. Il me serait facile de reprendre quasiment in extenso ma précédente analyse1 qui mettait en valeur les qualités et l’intérêt du livre, mais ce serait manquer de souligner les importantes améliorations effectuées par les auteurs aussi bien dans la présentation que dans le contenu.
Il faut rappeler ici que les gisements fossilifères qui sont à la base de l’ouvrage correspondent à des secteurs sédimentaires qui étaient éloignés des terres et qu’ils ont essentiellement fourni des “poissons” et des non-vertébrés aquatiques ; en 2003, le seul tétrapode mentionné dans l’ouvrage était une tortue. Toutefois, les nouvelles fouilles de l’un des quatre gisements qui était manifestement plus proche du secteur continental a livré de nouveaux tétrapodes : plusieurs tortues, un ptérosaure et une plume d’oiseau. En revanche, avec l’abondante ichtyofaune bien conservée c’est tout un ensemble aquatique riche en espèces qui s’offre au lecteur avec la revue des fossiles de poissons.
Avec plus de 500 espèces décrites (soit plus de 200 genres), règnes végétal et animal confondus, le Liban est un véritable “hotspot” fossile du Globe pour la période -100 à -85 millions d’années (Crétacé supérieur). La description des espèces de poissons qui suit la phylogénie des différents ensembles est précédée de différents textes formant une solide introduction à perspectives didactiques.
Ainsi, une première partie est un historique de la découverte des gisements fossiles, le tout agrémenté de citations faisant référence à Hérodote (-450), Eusèbe de Césarée (iiie siècle), du Sire de Joinville, le compagnon de Saint-Louis (1268), J.J. Scheuchzer (1708), L. Bourguet (1742), J.E. Guettard (1786) ou encore C.F. Volney (1787). Il ne faut pas oublier que ces sites fossilifères du Liban sont probablement parmi les premiers qui ont retenu l’attention des hommes ; ceux-ci ont cherché une explication à cette présence de poissons pétrifiés loin des côtes de la Méditerranée. C’est ce qui a conduit certains peuples au mythe diluvien. L’interprétation rationnelle de faunes disparues a demandé beaucoup de temps, comme le montrent les textes des différents auteurs cités ci-dessus. Les pouvoirs religieux du Moyen Âge n’ont certes pas facilité les timides avancées scientifiques dans ce domaine des fossiles. Il faut attendre le xvie siècle puis les avancées du siècle des Lumières pour que s’ouvre progressivement le carcan dogmatique du déluge biblique et les 6 000 ans d’histoire du Monde. On ne peut qu’être confondu par cette lenteur de la compréhension rationnelle de ces restes figés d’êtres vivants au regard de celle du peuple Maya. Effectivement, si l’on traverse l’Atlantique pour observer cette société amérindienne, on s’aperçoit que le peuple Maya fut, il y a 3000 ans, une des sociétés les plus avancées du monde américain préhispanique. Dans la cosmogonie Maya, le monde sort d’un océan primordial et les fossiles sont vus comme des reliques d’un monde ancien ; ils sont clairement interprétés comme des formes vivantes éteintes. Les Maya évaluent l’âge de leurs fossiles à 1 million d’années ! La description scientifique des espèces libanaises commence réellement au début du xixe siècle et elle s’est poursuivie régulièrement
par la suite. Ces gisements du Liban, d’abord laissés en accès libre, ouvrant ainsi la voie à de nombreux pillages, bénéficient aujourd’hui de mesures de conservation protégeant ce patrimoine biologique historique. Ceci permet d’enrichir les connaissances scientifiques sur ces biotopes du Crétacé supérieur. La structure lithologique des calcaires de ces gisements permet une extraction aisée des fossiles qui sont dans un état de conservation exceptionnel autorisant des études d’une grande précision. Un 5e gisement plus nordique (Kousba) a été “redécouvert” récemment mais semble moins riche que les quatre autres : Hgula, Haqil, En Nammoura et Sahel Alma.
Pour ce qui concerne les améliorations, j’ai noté la présence d’un sommaire paginé ce qui permet d’accéder très rapidement aux grands ensembles de taxons (au niveau de l’ordre ou, dans certains cas, de la famille) et le transfert du tableau de la liste des espèces et des genres de téléostéens avec leur localisation sur les quatre sites fossilifères au début de l’ouvrage et non plus à la fin. Dans les textes de présentation sont discutées certaines notions fondamentales comme la signification actuelle en systématique des termes de “poissons” et “reptiles”. Par ailleurs le bestiaire s’est enrichi de nouvelles formes parmi les crustacés, les échinodermes et les mollusques pour les “non-vertébrés”, les Pycnodontiformes et les Coelacanthes pour les Ostéichthyens. De nouveaux taxons de poissons ont été découverts et décrits : Halécomorphes et Pachyrhizodontidés. Il faut remarquer dans cet ensemble ichtyologique l’absence d’espèces à écailles ganoïdes ce qui confirme un âge post-jurassique pour ces gisements. Les très nombreux clichés qui illustrent le texte ont été particulièrement soignés si bien que l’ouvrage est devenu un véritable musée à domicile. C’est donc un ouvrage à faire rentrer dans les bibliothèques personnelles.
François J. Meunier
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Qui, hors de la communauté scientifique, sait qu’il existe au Liban d’extraordinaires ressources de fossiles marins ? Pourtant, dans les montagnes qui surplombent la ville de Byblos (aujourd’hui Jbeil, à 38 km au nord de Beyrouth), s’étendent plusieurs carrières de pierre calcaire qui renferment ce que les paléontologues appellent un « gisement à conservation exceptionnelle » – l’un des plus riches au monde.
Acteur incontournable de ce domaine, Pierre Abi Saad maîtrise parfaitement son sujet. Ce scientifique sympathique explique depuis des années aux visiteurs de sa boutique-musée (située près de la citadelle) l’histoire géologique de la région, raconte la découverte, par son grand-père, des carrières dont sa famille est devenue propriétaire et présente les pièces les plus rares de sa collection.
Que l’on ne s’y trompe pas, son enthousiasme n’est pas celui d’un bateleur qui ferait sans scrupule commerce du patrimoine national. C’est celui d’un passionné qui, avec rigueur, conserve systématiquement au Liban les dix plus beaux spécimens de chaque espèce qu’il exhume avec ses équipes ; seuls les autres pourront être vendus aux musées étrangers ou aux collectionneurs. En outre, Pierre Abi Saad passe une grande partie de l’année à accueillir des missions scientifiques du monde entier (Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, etc.), venues effectuer des fouilles et identifier les espèces présentes. D’ailleurs, le jour où il m’a conduit sur le gisement d’Haqil, situé dans une zone d’accès difficile, à environ 700 mètres d’altitude, nous étions accompagnés d’un professeur et d’un doctorant du Muséum d’Histoire naturelle de Paris ainsi que de deux archéologues.
Les fossiles libanais ont une histoire déjà ancienne. Lorsqu’au IVe siècle, l’évêque Eusèbe de Césarée découvrit que des poissons fossilisés se trouvaient dans ces montagnes, il y vit une preuve irréfutable du Déluge. Durant les Croisades, le Sire de Joinville, qui fit le même constat, en tira des conclusions similaires. Depuis, la légende biblique s’est effacée devant les progrès de la science. Celle-ci nous explique qu’au Crétacé – et très exactement au Cénomanien (il y a 93 à 99 millions d’années) – des pluies particulièrement abondantes précipitèrent dans la mer (alors appelée Téthys) assez d’alluvions pour que le plancton et les micro-algues se développent de manière exponentielle, au point de capter tout l’oxygène contenu dans l’eau, provoquant la mort massive de la faune marine. Poissons, crustacés, invertébrés se déposèrent ainsi sur le fond, par couches successives, chacune recouverte de sédiments. Des conditions particulières au lieu facilitèrent une vitesse de sédimentation rapide, ce qui permit un mode de conservation excellent. 50 millions d’années plus tard, la tectonique des plaques souleva le fond marin et forma les montagnes au cœur desquelles les gisements de fossiles se trouvent aujourd’hui.
Contrairement à d’autres gisements, ceux du Liban ne recèlent pas d’animaux de taille spectaculaire (la plus grande pièce, un requin, mesure toutefois 3,80 m) ; en revanche, ils se distinguent par une biodiversité exceptionnellement riche. Pas moins de 400 espèces de poissons et 50 de crustacés ont ainsi été identifiées, sans compter quelques pieuvres et calamars, voire des tortues parfaitement conservées. Certaines espèces existent toujours (notamment le célèbre cœlacanthe), la majorité a disparu, comme ces extraordinaires raies-soleil, particulièrement décoratives. Et beaucoup d’autres sont régulièrement mises à jour. Ainsi, les deux scientifiques français rencontrés sur place avaient-ils découvert, en deux semaines de recherches, 15 types inconnus de crustacés dans ce « Jurassic Park » minéral.
En dépit de l’abondance de la faune, extraire les fossiles des strates de calcaire demande un réel savoir-faire. Sans doute faut-il maîtriser la précision du geste du marteau et du burin afin de séparer les strates de calcaire et dégager les spécimens sans les détériorer. Mais il faut aussi de l’intuition car, selon la géométrie des pierres et les infimes taches brunes qu’elles comportent, le spécialiste devinera la présence d’un fossile là où le néophyte ne distinguera rien. La chance, finalement, n’a que peu de place dans cette pêche miraculeuse. Pierre Abi Saad le reconnaît : « Des mois, parfois des années sont nécessaires pour acquérir une telle expérience. » Et, lorsqu’une pièce apparaît, tout, ou presque, reste à faire pour la rendre présentable, scientifiquement exploitable. « Une journée de fouille représente un mois de traitement en atelier », précise-t-il. En effet, les fossiles – empreinte et contre-empreinte – doivent être minutieusement dégagés – un travail de haute précision qui occupe toute une équipe aguérie à cet exercice. Car certaines plaques peuvent contenir des bancs entiers de poissons de petite taille et d’autres un seul, mais si bien préservé que l’on distingue, une fois la tâche de nettoyage réalisée, arrêtes, dents et écailles. Dans le corps de certains prédateurs, on parvient même à distinguer la proie qu’il venait d’avaler avant de mourir.
Comme pour la majeure partie du patrimoine culturel libanais, la mise en valeur des ressources fossiles doit très peu à l’Etat. Sans des initiatives privées, telle celle de la famille Abi Saad, il est probable que la communauté scientifique ne pourrait étudier ces gisements avec une telle facilité et que les touristes ne pourraient voir la collection qu’elle a constituée (le site Internet de son entreprise, Mémoire du temps, est consultable en suivant ce lien).
Pour celles et ceux qui souhaiteraient aller plus loin dans cette découverte, signalons enfin l’ouvrage de Mireille Gayet, Anne Belouze, Arlette Armand, Olivier Gaudant et Pierre Abi Saad, Les Poissons fossiles (Desiris, 157 pages, 39,50 €). Bien qu’écrit par une équipe de scientifiques, cet essai abondamment illustré demeure accessibles à tous.
Illustrations : La famille Abi Saad, au premier rang, à gauche, Pierre Abi Saad - Le musée "Mémoire du temps" - Fouilles à Haqil - Cyclobatis (raie soleil) - Banc d'Armigatus - Tortue (photos © Pierre Abi Saad/Mémoire du temps).
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Coelacanthes, lamproies, poissons volants, raies, requins, les milliers de « poissons de pierre » du Liban sont parmi les plus beaux fossiles du monde. Dans cet ouvrage très illustré, la description savante de l'ichtyofaune emprisonnée, depuis 100 millions d'années, dans les gisements de Haqil, Hgula, Kousbe et En Nammoura, dans la région de Jbeil, l'ancienne Byblos. Pour passionnés. B. A.
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Liban - Mémoire du temps Les poissons fossiles.
Voici un ouvrage remarquable à tous points de vue. Son excellente présentation et sa finition, sa typographie, sa mise en page claire et aérée, son texte aisé à lire .. . ce qui n'est pas négligeable. Ses auteurs de haut niveau scientifique qui ont rédigé un texte clair et rigoureux quant aux informations. Ses illustrateurs dont la grande compétence professionnelle nous met sous les yeux des reproductions merveilleuses. L'ensemble constitue un recueil de référence pour tous ceux qui s' intéressent aux poissons fossiles du Liban (Minéraux & Fossiles a publié plusieurs articles sur ce sujet) ou aux poissons fossiles en général. Ils y trouveront un historique de la découverte de ces traces de vie aquatique au sommet des montagnes ce qui suscita bien des hypothèses depuis l'Antiquité dont même notre roi Louis IX (saint Louis), s'est vu offrir un échantillon. Mais c'est bien sûr la seconde partie, et la plus dense, qui retiendra l'attention des amateurs de paléontologie avec la description des fossiles (les plantes ne sont pas oubliées), classés d'une manière conventionnelle, des schémas, des cartes, des dessins complétant les magnifiques photos en couleur. Une bibliographie abondante liste un grand nombre de titres même si malheureusement beaucoup sont en langue étrangère. Le rapport qualité-prix constitue un argument de vente. Joan DEVILLE
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