Aliocha Wald Lasowski
Croix du Nord
Dans son 21e ouvrage sorti cette année, le philosophe Aliocha Wald Lasowski évoque un sujet d'actualité qui est encore sensible, la crise sanitaire du Covid-19. Un livre invitant à se questionner.
Avouez que quand vous voyez le mot « virus » associé à « corona » vous avez tendance à voir rouge car ce satané mot qui il y a encore deux ans ne faisait pas partie de notre vocabulaire, est entré en mars 2020 dans notre quotidien pour ne plus en sortir …
Alors aujourd'hui à l'heure de la 7e vague dont on ne comptera bientôt plus les numéros, il faut se rendre à l'évidence : le Covid-19 fait partie de nos vies. Il est donc essentiel, avec le recul de ces deux années de pandémie, de mettre les choses en perspective et de se poser cet été avec en main le petit opuscule du philosophe Aliocha Wald Lasowski, qui signe là son 21e livre. Si, si, on vous le conseille pour la plage ou le jardin. Avec moins de 160 pages, pas de risque d'alourdir les bagages.
Pour tous ceux qui ont la mémoire courte
« Ce livre se veut un outil de questionnement au croisement de l'anthropologie médicale, de l'expérimentation philosophique et de l'actualité politique», annonce son auteur.
Après un utile retour sur les débuts factuels de la pandémie et l'inquiétude doublée d'effroi qui habita nos 55 jours de confinement qui commencèrent dans la sidération, l'auteur rappelle que 5,5 millions de personnes sont mortes du Covid dans le monde (chiffres de décembre 2021) et 122 000 en France.
Ceci posé, cet ouvrage donne les moyens de la réflexion sur tous les sujets de société qui ont été bouleversés par le coronavirus. De la restriction de la démocratie à la question sanitaire de la crise en passant par notre regard sur la maladie et l'émergence d'un « biopouvoir » défini comme « l'emprise du pouvoir sur les corps ».
Sans Aliocha Wald Lasowski, aurions-nous songé à Sartre pour éclairer notre angoisse existentielle et nos peurs légitimes, à Kant pour analyser les effets du « rester à la maison » ? Aurions-nous songé à Freud pour réfléchir à notre liberté versus notre sécurité ainsi qu'au devenir de notre civilisation ou bien encore à Nietzsche pour méditer sur la fragilité de la vie ? Quant au sentiment de l'absurde que nous n'avions jamais tant ressenti, c'est à Camus et à son mythe de Sisyphe que fait référence l'auteur tout en convoquant aussi la peinture où le sentiment d'irréel traverse les œuvres de Chirico, Hopper, Munch, ou Bocklin.
Le tempo du virus
L'idée de « rythmovirus » que propose Aliocha Wald Lasowski, lui-même musicien, est en soi visionnaire puisque ce virus affirme depuis deux ans sa sérialité et son retour sur la scène tel un leitmotiv dont la ritournelle serait reconnaissable mais à chaque fois différente. Puisque « le rythme de l'épidémie questionne le rythme de nos vies» comme le souligne Aliocha Wald Lasowski, alors pourra t-on suivre le tempo du virus?
Comment repenser de nouvelles politiques du travail, de la santé et de l'éducation ? À travers ce court essai, l'auteur analyse l'attitude de l'homme face à une crise inédite et nous donne quelques clefs pour mieux comprendre les fondements de nos réactions face aux interdits nés d'une violence sanitaire doublée d'une violence sociale. « Dans la société techno-industrielle et techno-numérique, les rapports de l'homme au corps ont un caractère politique » nous rappelle Aliocha Wald Lasowski. Le philosophe allemand Hans Jonas, précurseur d'une éthique de l'environnement, apporte quant à lui une réponse sur les capacités d'adaptation qu'il nous faut développer et qu'il énonce dans le principe de responsabilité, « La précaution, la préservation, l'autolimitation et la décroissance ».
Voilà qui sonne étonnamment juste en ce début du XXIe siècle.
Ouvrages associés :
Actualité Juive
Interview d'Aliocha Wald Lasowski dans Actualité Juive à propos de son ouvrage Serial Virus :
Aliocha Wald Lasowski : « Le virus a aiguisé notre sentiment de finitude »
Le philosophe Aliocha Wald Lasowski signe un passionnant essai, Serial Virus, qui décrypte la longue crise pandémique traversée par l'humanité.
Actualité Juive - Votre essai est une réflexion de fond sur la crise épidémique liée au coronavirus. « Nous vivons à l'âge de la « pharmacodynamie industrielle » y écrivez-vous, en allusion aux vaccins contre le COVID-19. Qu'est-ce que cela signifie?
Aliocha Wald Lasowski : Face au Covid-19, l'impatience de guérison immédiate, légitime du point de vue humain, a relancé la frénésie pharmacologique, liée à l'angoisse psychique, dans un monde de l'hyper-industrialisation. La médecine agit autant sur le corps individuel que collectif. La santé est le projet d'une société : organe, organisme, organisation. Tout est lié. Dans le contexte actuel, où la fabrication industrielle des vaccins est un enjeu mondial, la santé concerne la "biosécurité" de la société et de la population. Plus que jamais, aujourd'hui, nous prenons conscience que la médecine est un espace de construction du social et du médical mêlés. D'où l'enjeu politique et culturel dans Serial Virus.
Pourquoi la crise pandémique que nous traversons depuis plus de deux ans doit-elle aboutir à réinventer ce que vous nommez « la Relation » ?
A.W.L. : La maladie n'est pas seulement un phénomène biologique ou une infection naturelle, mais avant tout un rapport au corps, au culturel et à l'éthique. La santé est sociale. Et le lien humain est aujourd'hui à réinventer. Le « Serial Virus » dont je parle impose son tempo aux échanges, réduits au contact contrarié à distance. Comment penser la politique des relations en temps de pandémie ? L'idée principale du livre est d'éclairer le sentiment de finitude ressenti par l'être humain, dont la vision du monde est affectée par la pandémie. Et le confinement, vécu par 4,6 milliards de personnes, fut l'expérience d'un huis clos existentiel, qui a bouleversé leur vie.
Allons-nous vers un ralentissement de la mondialisation ?
A.W.L. : Dans toutes les sphères de la vie, de l'intime au global, du privé au social, la propagation de l'épidémie a sidéré par l'intensité de sa vitesse. Le coronavirus oblige à penser les dimensions de vitesse et de lenteur, d'accélération et de ralentissement de nos comportements. Comme il arrive que la démocratie soit elle-même prise de vitesse par les populismes, la société a été surprise par la fulgurance de la pandémie. Face au virus ou, vous avez raison, face au phénomène de mondialisation, la politique doit trouver une autre cadence. ll s'agit d'inventer une allure nouvelle, pour ne pas sombrer dans l'illusion consommatrice et l'artifice sociétal. Gouverner, c'est un défi., celui de rythmiciser l'espace public de la cité.
Vous revisitez Freud. Pourquoi ses thèses retrouvent-elles selon vous une actualité ?
A.W.L.: En plein krach boursier, Sigmund Freud, le père de la psychanalyse, analyse la crise économique internationale de 1929 : L'Avenir d'une illusion tente de comprendre la société de son temps, et Malaise dans la civilisation. décrypte la névrose sociale et la pathologie collective du monde moderne. Le dilemme entre sécurité et liberté, au coeur du psychisme humain, est actuel. On le voit avec l'explosion de violence lors de la pandémie.
Combien d'agressions contre les services de médecine ? Masques volés, blouses arrachées, infirmières agressées... Face à la mort et à l'épidémie, la civilisation devient le lieu où se joue, dans une folle gigantomachie, la lutte entre Éros et Thanatos, entre pulsion de vitalité et pulsion de destruction. La civilisation a pour enjeu, la lutte vitale de l'espèce humaine, conclut Freud, plutôt pessimiste sur notre avenir !
Quid de l'émancipation dans ce contexte?
A.W.L. : Si Serial Virus partage le pessimisme freudien, Penser l'émancipation, un dialogue avec Jacques Rancière (éditions de L'Aube), esquisse des solutions d'espoir. D'autres possibilités de penser et de faire, de nouvelles manières d'être ensemble, sont envisageables. Rancière utilise l'expression« capacité de n'importe qui». Cette capacité, qui se prouve par l'exercice et le faire, permettrait d'améliorer la vie en démocratie. C'est une étape décisive pour imaginer le monde de demain.
■ Propos recueillis par Alexis Lacroix