(...) C’est précisément le mérite de l’ouvrage de Jean-Noël Lafargue, Entre la plèbe et l’élite : les ambitions contraires de la bande dessinée [2], de faire une part très large aux discours des adversaires des littératures dessinées. Lafargue fait partie de ces historiens qu’on pourrait appeler sauvages, qui récrivent une histoire du médium un peu à leur propre usage. C’est ici une triple histoire que nous propose l’auteur, celle de la bande dessinée, celle de sa vitupération et celle de son statut culturel.
Dans la partie historique, Lafargue n’échappe pas complètement aux bizarreries. Rien n’explique ainsi la place disproportionnée faite au domaine nord-américain, si ce n’est les goûts personnels de l’auteur. Plus fondamentalement, on peut s’étonner du choix d’une approche chronologique, au détriment d’une analyse et d’une synthèse, d’autant que les deux autres thèmes, le rejet de la bande dessinée et le processus de légitimation, sont eux aussi présentés de façon chronologique et thématique, ce qui empêche l’auteur de tirer des conclusions claires.
Lafargue échappe aux euphémismes avec lesquels une certaine critique savante s’était habituée naguère à traiter les campagnes anti-bande dessinées (activités de la Commission de surveillance française, campagne américaine anti-comics). Notre auteur s’est sérieusement documenté. Il dispose par exemple du microfilm du violent pamphlet de Georges Sadoul, Ce que lisent vos enfants, exemplaire de la Bibliothèque nationale, avec son numéro de catalogue manuscrit sur la couverture. Il détient le numéro de Fiction où Pierre Strinati lance sans le vouloir ce qui deviendra le fandom français. Et lorsqu’il est question des allusions à la bande dessinée au petit écran, notre auteur va se documenter sur le site de l’INA (épisode des Cinq dernières minutes).
Il est intéressant de comparer les « séries culturelles » qui nourrissent la bande dessinée selon Lafargue à celles du volume collectif dirigé par Maigret et Stefanelli. Selon Lafargue, la bande dessinée, c’est aussi... le dessin narratif, le théâtre et la danse, la littérature populaire, le dessin de presse, l’anthropomorphisme (?), le dessin animé, le cinéma, la photographie, etc. L’auteur arrive ainsi rapidement à faire le tour de la culture de masse, mais aussi des médias, et même de la culture « haute ». Voilà qui relance le bouchon, et fort loin, et qui repose la question des flux et des hybridations.
Entre l'élite et la plèbe
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