Au moins dans le cadre de l'association Eecho, on ne présente plus M. Jean-François Froger. On connaît son travail et en particulier la découverte de la logique réelle qui organise la Parole révélée : une logique quaternaire. Les plus réticents mêmes admirent cette œuvre impressionnante, tout en regrettant son aspect technique jugé parfois rebutant.
Comme dans tous les livres de Jean-François Froger, nous avons accès au texte araméen et à une traduction dans la langue d'arrivée proche de la langue de départ, avec des références précises pour ceux qui voudraient aller plus loin dans ce domaine. Cela est très précieux. On ne peut que l'en remercier, comme aussi remercier l'éditeur qui affronte les contraintes techniques de l'araméen.
Avec ce petit livre, il sera difficile, même aux grands Réticents devant l'Éternel de déplorer la place prise par cette logique quaternaire ou par une métaphysique ardue. Et pour cause : ce livre est le fruit d'une retraite et son objet est l'un des textes de Jésus les plus populaires sinon les mieux compris : les Béatitudes.
On en compte neuf. Neuf Béatitudes, mais six chemins. Annoncés en p. 13 sous le titre: « A l'orée des chemins ».
C'est tout un programme : connaître la sagesse et l'éducation ; comprendre les paroles de l'intelligence ; recevoir une éducation sensée (justice, jugement et droiture) ; donner aux naïfs la ruse, au jeune, connaissance et pensée ; comprendre parabole et interprétation, les paroles des sages et leurs énigmes ».
Neuf Béatitudes donc mais six chemins, donc six chapitres. Pourquoi ?
Parce que si le texte des Béatitudes se présente sous la forme discursive d'une énumération, il est organisé par une structure, structure qui fait l'objet d'une explicitation tout au long de cet ouvrage, sous ses deux formes : la structure en carré et la structure en « tresse ».
Chacun de ces chemins suivis ou à suivre relie la (ou les) Béatitudes évoquée(s) à un ensemble qui la sous-tend : les vertus (l'humilité et la pauvreté) ; la miséricorde, reflet de la Miséricorde divine dont on retrouve l'expression dans l'une des formules du Notre Père (pardonne nous… comme…) ; ou encore la persécution, celle du disciple et celle de l'Église. Mais aussi les paraboles ou l'enseignement même de Jésus, qui se trouve ainsi explicité et éclairé ; ou encore la prophétie d'Isaïe qui annonce que toutes
larmes seront essuyées de nos yeux : Heureux les affligés…
Cette « structure » n'est pas uniquement un exercice formel : elle rappelle que, au-delà de l'énumération qu'impose la langue, les Béatitudes constituent une composition unique, un « tissage » dans une unité où brille l'intelligence divine de Celui qui nous a laissé ce texte unique, qui est d'abord une parole orale.
Au-delà d'un petit guide lumineux pour entrer dans l'enseignement de Jésus, le lecteur trouvera là une initiation à la « forme » même qui organise cet enseignement, en en révélant le point nodal : la Miséricorde. Si chacun des six chemins proposés s'appuie sur des paraboles ou des passages de l'enseignement de Jésus, comme aussi de la Torah, il renvoie lorsqu'il y a lieu à la Prière des Prières : le « Notre Père ».
Et à sa dernière formule : Délivre-nous du Malin. Ceux qui ont suivi les enseignements de M. Froger sont conscients des enjeux d'une traduction juste, et donc d'une juste interprétation. Ils sont conscients que c'est aussi dans l'Église qu'il nous faut ces « pauvres dans le souffle » (pauvres en esprit) : ces chrétiens qui reçoivent la parole telle qu'elle est donnée, sans la rapporter à leur expérience individuelle ou à un savoir culturel, y compris le savoir ecclésial ou théologique, souvent éperdu d'abstractions, ou pire encore, appauvri ou dénaturé par les multiples tentatives d'accommoder cette Parole à l'esprit du temps.
Ainsi chaque chemin est le lieu d'explicitation de ces formules dont nous ne mesurons pas toujours, faute d'une interprétation ad hoc, qu'elles nous parlent du Père et de l'identité véritable de Jésus, le Messie ; qu'elles parlent du Royaume, de Satan, de la justice et de la miséricorde, de l'effroyable concurrence qui organise la vie des hommes et rend toute paix impossible en dehors de celle de Jésus, et même du devenir des morts.
C'est dans le sixième chemin qu'on trouve, plus explicitement, les relations mutuelles des neuf Béatitudes et la logique qui les sous-tend.
Les grands Réticents vont encore grogner : il y a trois pages sur la logique. Pour certains ce sera encore trop : oui, mais ces trois pages s'ouvrent sur des lignes lumineuses sur le royaume de Dieu. Suggérons qu'ils acceptent, au moins le temps de la lecture, d'être « pauvre de souffle », et de se donner ainsi une chance d'entrer dans la compréhension, au-delà de l'encodage logique, de la puissance transformante de l'enseignement de Jésus.
Ajoutons que cet encodage logique nous est exposé avec le maximum de clarté dont il est possible de faire preuve, que c'est une découverte majeure, pour ne pas dire décisive, et que tout ce qui est vraiment nouveau requiert quelque effort.
Ne fermez pas le livre : il y a des notes…
La première est un petit développement sur la note de bas de page n° 2 de la page 72. Il s'agit d'une analyse précise autant que prudente sur l'analogie spatiale énigmatique et même problématique du Shéol et de la Géhenne. En deux pages éclairantes, tous ceux qui s'intéressent à l'épineux problème du « devenir des morts » trouveront là de quoi nourrir leur méditation et peut-être, orienter leur réflexion future. Car, n'est-ce pas, il est un péché que la Miséricorde elle-même ne saurait racheter ou pardonner : le péché contre l'Esprit, conséquence d'une abominable confusion.
Et c'est bien l'enjeu de la dernière formule du Notre Père : ne nous laisse pas entrer dans la tentation de la confusion, celle de confondre Dieu et Satan. Celle aussi de douter de l'inspiration du Saint Esprit et donc de douter de Dieu, de sa Bonté, et donc de sa Miséricorde.
Car Satan seul nous abuse. Dieu ne nous abuse pas. Il dit vrai, vraie sa Parole, vraie sa Promesse, accomplie en son Fils, son Envoyé.
« La persécution la plus intime et la plus lancinante que le monde puisse nous infliger, c'est le doute » (p. 110).
Le doute, ce corrupteur de l'âme… Contre ce mal vrai qui dissout la volonté, ronge la foi et corrompt l'intelligence, (ce mal qui sans nul doute a conduit à l'apostasie des peuples de l'Europe), il y a une antidote : les Béatitudes. Et les six chemins pour entrer dans une compréhension plus profonde de ce qui fait la force de ce texte et son énigmatique splendeur : Celui qui en est la Source et l'Auteur.